Le chef de l'État a présidé ce mercredi la cérémonie de remise de prix du Concours national de la Résistance et de la Déportation au Palais de l’Élysée.
Créé en 1961 à l’initiative des résistants et des déportés politiques, le Concours national de la Résistance et de la Déportation joue un rôle central dans l’enseignement de l’histoire et des valeurs citoyennes.
Véritable levier de transmission de la mémoire, il rassemble chaque année plus de 36 000 élèves de collèges et lycées, invités à réfléchir aux mécanismes de la persécution et aux formes d’engagement face à l’oppression.
L’édition 2024 s’est articulée autour d’un thème fort : « Résister à la déportation en France et en Europe ».
Ce sujet met en lumière les multiples formes de résistance – individuelles, collectives, clandestines ou silencieuses – face à la politique de déportation nazie. Il interroge les moyens par lesquels des hommes et des femmes ont combattu l’injustice, parfois jusqu’au cœur des camps, au péril de leur vie.
Cette cérémonie a permis de réaffirmer plusieurs engagements forts :
- celui de l’État dans la transmission de la mémoire,
- celui de l’École dans l’éveil des consciences citoyennes,
- celui des témoins et des historiens face aux dérives révisionnistes.
À cette occasion, le Président Emmanuel Macron a remis les insignes de commandeur de l’ordre national du Mérite à Lili Keller-Rosenberg. Déportée à 11 ans dans les camps nazis, elle témoigne sans relâche depuis 45 ans devant les collégiens et les lycéens pour faire vivre le devoir de mémoire.
Revoir la cérémonie :
7 mai 2025 - Seul le prononcé fait foi
Cérémonie de remise de prix du Concours national de la Résistance et de la Déportation.
Madame la ministre d'État,
Madame la ministre,
Monsieur le préfet de région,
Mesdames et messieurs les rectrices et recteurs,
Monsieur l'ambassadeur,
Mesdames et messieurs en vos grades et qualités,
Chers professeurs,
Chers élèves.
D'abord, merci d'être là aujourd'hui si nombreux pour ce concours national de la résistance et de la déportation qui m'est cher. Merci des propos que vous venez de tenir et de tout le travail scientifique qui a été conduit.
Au fond, quand je regarde cette assemblée, je vois deux générations qui se rencontrent, celles dont la mémoire flotte dans cette salle, et qui prend pour nous le visage de Lili Keller-Rosenberg, et celle d'une jeunesse née dans une Europe en paix, fondée sur des libertés que nous considérons parfois comme acquises et que nous avons peut-être trop longtemps considérées comme acquises. Beaucoup d'entre vous ont entre 15 et 18 ans. C'était l'âge d'Odile de Vasselot lorsqu'elle commença à distribuer des tracts clandestins. C'était l'âge de Guy Mollet lorsqu'il fut fusillé par les Allemands. C'est à peine moins que Philippe de Gaulle lorsqu'il rejoint la France libre. Et déjà plus que certains des pêcheurs de l'Île-de-Sein qui embarquèrent d'un bloc vers l'Angleterre en juin 1940, salués par le général de Gaulle, comme je le cite, « des garçons sans attache qui n'avaient rien à perdre ». Cela ne signifiait pas sans ancrage, mais simplement sans pesanteur, sans chaîne.
Alors certains diront peut-être que les temps sont différents, que les défis ne sont pas les mêmes. C'est à coup sûr vrai. Vous ne vous demandez pas si la Gestapo est devant votre porte en rentrant chez vous. Mais ces jeunes résistants n'avaient pas internet pour s'informer ni les réseaux sociaux pour s'organiser. Beaucoup de choses sont différentes, mais les valeurs que vous défendez à travers vos travaux remarquables et qui sont exposés ici sont exactement les mêmes.
La liberté, l'égalité, la fraternité, la justice, la dignité humaine, la défense de notre patrie et de son indépendance par ce qu'elle porte en elle aussi d'universel, le refus de céder à l'antisémitisme et à toute discrimination quelle qu'elle soit.
Chacun de ces principes, chacune de ces valeurs, ne pensez jamais qu’elles sont acquises. Chacun de ces combats, ne croyez pas une seule seconde, qu'ils sont pour hier. Comme ces jeunes que j'évoquais, dont je convoquais quelques-uns de noms, vous cherchez aussi du sens à la vie, à l'existence, vous traquez une vérité. C'est exactement ce qu'ils ont fait, en résistant, en refusant la fatalité des événements. A cet égard, vos recherches minutieuses, vos analyses historiques, vos créations artistiques, sont sur un même chemin d'exigence. Je veux ici vous remercier pour cela et remercier l'ensemble de vos professeurs, toutes les équipes qui vous ont accompagnés.
Les résistants de 17 ans savaient que chaque tract distribué, chaque message transmis pouvait coûter la vie. Vous avez, vous, la chance de pouvoir partager vos idées librement, de débattre ouvertement, de vous engager sans risquer votre vie. Alors, on se demande parfois ce que nous aurions fait à leur place en 1940, si nous aurions eu ce courage, cette force morale, cette capacité. Et nul ne peut répondre honnêtement à cette question. Mais la vérité, c'est que personne ne naît résistant, on le devient. Et on le devient par les choix qu'on fait jour après jour.
Ce que vous ferez peut-être un jour dans une situation différente, face à un dilemme différent, dépendra aussi de tous les jalons que vous avez posés avant. Ces lycéens d'hier étaient des jeunes ordinaires, avec leurs rêves, leurs espoirs, leurs peurs aussi. Ce qui les a rendus extraordinaires, c'est qu'ils ont su, à un moment donné, choisir le camp de l'humanité contre celui de la barbarie, choisir le camp de la résistance face à la fatalité, choisir le camp de la dignité humaine et de l'universalité de nos valeurs face à la haine. Les travaux que vous avez réalisés dans le cadre du concours national de la Résistance et de la Déportation nous disent cela. Ils nous montrent sans concession l'horreur, les humiliations, les discriminations, la vie clandestine dans l'angoisse qui tord le ventre, les rafles, la barbarie nazie qui jeta femmes, hommes, enfants, juifs, tsiganes, communistes partout en Europe sur ces lignes ferrées qui s'enfonçaient dans la nuit et le brouillard. Mais vos travaux nous montrent aussi l'espoir.
L'organisation d'opérations de sabotage ou d'évasion, des attaques de convois, l'action des FTP-MOI ou de l'armée juive, ces déportés qui, dans l'enfer des camps, ont parfois trouvé la force d'organiser la solidarité, la dissidence, le renseignement et la diversité de vos projets. Je dois le dire, tout aussi impressionnante, avec une grande capacité d'analyse et des projets très innovants, avec un sens de la pédagogie allant de la maquette aux jeux de société, d'un musée mobile, de l'écriture d'un slam. Je ne saurais ici tout citer.
Vous étiez cette année 36 000 candidats, collégiens de 3ᵉ et lycéens, issus de plus de 1 400 établissements différents. Je remercie l'ensemble des professeurs, des chefs d'établissement qui, chaque année, inspirent et forment les élèves. Bravo à tous les organisateurs, membres du jury, correcteurs ! Je tiens tout particulièrement à remercier Vincent Duclert, car je sais votre engagement précieux à la présidence du Collège des correcteurs depuis deux ans, en plus de tout le reste et des missions que j'ai pu vous confier. Nous n'oublions pas les équipes de la DGESCO, madame la ministre, du MINARM, qui permettent que les collégiens et lycéens se relaient ainsi de génération en génération dans ce travail de mémoire vivant. Merci à l'ensemble des équipes. Merci aussi à tous les établissements qui y concourent.
Face au poison de l'antisémitisme, de la haine, alors que les libertés fondamentales reculent un peu partout dans le monde, l'école de la République vous forme à devenir des citoyens éclairés. En vous enseignant avec lucidité les leçons de l'histoire, elle vous prépare à appréhender les enjeux de notre temps, à protéger également cette paix dont nous avons hérité et qui est un trésor à préserver.
Le fait que je vous reçoive cet après-midi, ici même, alors qu'il y a une heure à peine, le chancelier allemand était là, dit beaucoup des temps que nous vivons. Nous avons à défendre une Europe, caisse de résonance du message de paix que notre pays veut porter au monde.
Je remercie donc aussi les associations, les fondations qui sont à nos côtés aujourd'hui et qui œuvrent avec l'éducation nationale à l'excellence de ce concours. L'État se tient à vos côtés pour faire perdurer le témoignage des résistants et déportés, et plusieurs sont aussi parmi nous aujourd'hui. Je les en remercie.
J'ai eu l'occasion de le rappeler récemment, cet engagement de la France, que ce soit à Auschwitz, au mémorial de la Shoah, et je veux remercier, là aussi, l'ensemble de celles et ceux qui contribuent à ce travail, comme dans toutes nos académies, et merci à nos rectrices et nos recteurs pour le perpétuer.
Chers lauréats, en quittant cette cérémonie, vous emporterez avec vous des photos, des souvenirs, mais j'espère que vous emporterez surtout cette conviction que l'histoire n'est jamais écrite d'avance, qu'elle se construit par l'engagement de chacun. Un engagement de mémoire et d'histoire aujourd'hui et demain peut-être un service civique, une préparation militaire, un engagement associatif, politique – en tout cas une action consciente, que vous êtes dans cette chaîne des temps et qu'une nation comme la nôtre se tient par l'engagement des femmes et des hommes, des citoyennes, des citoyens que vous êtes.
Les jeunes résistants d'hier ne se voyaient pas comme des héros. Ils faisaient simplement ce qu'ils estimaient juste et nécessaire. Et pourtant, ils ont changé l'histoire. Et je pense à cette réflexion d'un ancien lycéen devenu l'une des grandes voix de la Résistance et grand poète. Il s'appelait René Char. Il écrivait, parmi d'autres, et je vous recommande grandement la lecture des « Feuillets d'Hypnos » qui dit beaucoup de ces années de guerre. Je cite René Char : « À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis. » Alors à vous, lauréats, de faire en sorte que cette place ne reste jamais vide trop longtemps. À vous d'inviter la liberté, non seulement à votre table, mais dans vos pensées, dans vos actions et dans vos engagements.
Dans ce travail de mémoire polyphonique, il y a une voix en particulier à qui je veux m'adresser aujourd'hui, c'est à vous, chère Lili Keller-Rosenberg. Oui, de ce devoir de transmission, vous êtes une inestimable représentante. Depuis 45 ans, vous témoignez auprès de notre jeunesse avec une vigueur dont vous avez le secret. Inlassablement, vous racontez la guerre, l'occupation que vous avez d'abord vue avec vos yeux d'enfant. Cette étoile jaune que, comme Joffo, vous auriez sans doute pu troquer contre un sac de billes la tendresse dont vous entourez vos parents pour vous faire oublier le bruit des bottes sur les pavés de Roubaix. Puis, le fracas de l'histoire sur votre vie, l'arrestation de votre famille le 27 octobre 1943, la nuit même de l'anniversaire de votre mère. L'emprisonnement à Loos, Bruxelles, Malines, la déportation dans les camps Ravensbrück, Bergen-Belsen, vous aviez 11 ans. Et vous alliez endurer l'innommable. Pourtant, dans ce voyage au bout de l'humanité, vous avez toujours su faire face, armée de l'amour de votre mère, qui ne renonça jamais, malgré l'angoisse, malgré la douleur, cette mère qui s'assura chaque jour que vous et vos deux petits frères, Robert et André, aient une toilette décente, qui offrit une brosse à dents gravée de la tête du Christ à une camarade du bloc 31 de Ravensbrück, une certaine Geneviève de Gaulle. « Survivre encore un jour, une heure, obstinément », je cite les mots de Jean Ferrat dans Nuit et Brouillard. Vous vous êtes accroché, chaque heure, à l'espoir, à chaque rayon de soleil, à chaque berceuse. Et ainsi, chère Lili, de ce qu'on appelait la mort lente des camps, vous êtes revenue. Avec vos frères, vous gagnez Paris à la libération des camps, Votre mère, qui avait triomphé du typhus, vous retrouva plus tard à Hendaye. Votre père lutta aussi jusqu'au dernier instant, mais mourut trois jours avant la libération de Buchenwald. Dans le deuil, vous avez puisé l'amour de la vie. Dans la noirceur, une injonction à la lumière, anticipant en quelque sorte ce titre choisi par les élèves du collège Antoine de Saint-Exupéry qui vient d'être récompensé, je les cite, l'humanité peut mieux faire.
Ce combat, vous ne l'avez jamais interrompu, sans relâche. Et vous témoigner, la reconnaissance de la République et de la nation aujourd'hui est en quelque sorte une évidence au moment où plusieurs élèves viennent d'être récompensés et leurs enseignants avec eux.
Durant ces décennies, sans relâche, vous avez transmis pour que ne soit pas oubliée cette mémoire, pour que soit bâtie cette histoire sur des preuves, des témoignages, pour que l'oubli jamais ne puisse advenir. Soutenue pendant des années par votre mari, Claude Leignel, par votre fille, Valérie, et vos conférences, vos livres, qui sont autant de boucliers contre l'oubli, qui ont ému des centaines de milliers de collégiens et de lycéens et qui, en réponse, vous ont dit leur admiration et leur gratitude.
Alors aujourd'hui, chère Lili, c'est la République toute entière qui vous remercie pour votre travail d'infatigable passeuse de mémoire, pour ce désir insatiable de faire de nos élèves des citoyens éclairés, pour votre lutte contre l'antisémitisme et le négationnisme. C'est pourquoi j'ai l'honneur et le bonheur aujourd'hui de vous remettre les insignes de Commandeur de l'Ordre national du mérite.